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A la recherche de l’espace-temps du travail de demain

La qualité de vie au travail serait-elle devenue une priorité ?

Après une année d’études auprès des utilisateurs d’espaces de bureau et autres tiers lieux pour des clients inquiets face à l’inévitable transformation de leurs métiers, j’achève 2016 sur deux salons et quelques conférences passionnantes qui ouvrent des voies à une véritable remise en question des idées reçues en matière de qualité de vie au travail. En voici une synthèse et des inspirations, ouvertes à vos commentaires. #SIMI #Revolution@work

1) Le constat consternant: l’épuisement du modèle de l’entreprise traditionnelle

Le modèle dit « traditionnel » de la grande entreprise qui a « pignon sur rue », avec ses halls d’accueil glacés et ses badges capricieux attire moins… et pourtant, on ne parle encore que d’elle, même quand on évoque les start ups, qui devraient devenir subitement les sauveurs de cette humanité corporate en déshérence, les gentils incubés (des nouveaux G.I?). En effet que viennent chercher le plus souvent les Grands Comptes, sinon un bain de jouvence et un écosystème partenarial à bas coût? N’est-ce pas un peu cynique de continuer à jouer ce jeu de frotti frotta entre « anciens » et « modernes » alors que les salariés veulent surtout plus d’autonomie, de démocratie organisationnelle et de flexibilité entre temps personnel et professionnel?

Quand on apprend que 68% des « millenials » quittent leur CDI au bout de 2 ans (source Leardersclub 2016), on comprend que l’enjeu de l’acquisition et la rétention de talents soit si important pour les grandes entreprises. Pour autant, c’est le modèle historique qui s’épuise, son statut, pas l’entreprise en tant que telle, qui est encore largement plébiscitée lorsqu’elle est synonyme de liberté et de sens: pouvoir donner sa voix, exprimer ses idées et ressentir une forte interaction avec ses pairs (quel que soit leur âge)… C’est souvent les PME qui incarnent le mieux ces réalités de bien-être quotidien accessible et c’est bien pour cela que les grandes entreprises cherchent à redonner de la proximité et de la chaleur à leurs salariés en assouplissant les conditions du télétravail par le coworking (et ses codes) ou en revisitant les aménagements de leurs sièges sociaux. A ce titre, le nouveau siège de la Société Générale, baptisé « les Dunes », paraît exemplaire. Ce qui a séduit les équipes de la Société Générale, dans le projet de l’architecte Anne Démians, c’est la flexibilité des espaces de travail. Les plateaux peuvent être cloisonnés tous les 1m35. C’est donc à chaque service de définir l’aménagement intérieur qu’il souhaite. Pas de bureaux individuels mais de petits open-space dans lesquels les collaborateurs s’installeront où ils veulent. « Le principe est que les salariés n’aient pas de bureaux fixes », ajoute l’architecte. Ces espaces sont donc flexibles et évolutifs. Anne Démians précise aussi : « Des respirations sont données à ces grandes surfaces par de généreuses terrasses extérieures dont l’aménagement peut se transformer en pôles de rencontres ».

Enfin une place laissée à l’aléatoire, aux rencontres informelles, non prévues dans l’agenda! Le projet, présenté au SIMI par Génie des Lieux, a été semble-t-il très fortement co-construit par les futurs occupants, qui ont été sollicités à plusieurs reprises tout au long du process, à l’initiative de Françoise Marcadal, Directrice des ressources et de l’innovation du Groupe. Un projet qui accompagne la transformation de la Société Générale et dans lequel l’espace a changé les rapports humains, grâce à une gouvernance centrée sur les utilisateurs. Est-ce un hasard si cet état d’esprit collaboratif a été piloté par deux femmes? Il est permis de se poser la question (mais personne ne l’a posée lors de la conférence de présentation.

2) 2020, odyssée de l’espace, oui mais pour y expérimenter quoi? Pour y vivre quelle temporalité?

A voir le nombre de projets de tiers lieux, de bureaux satellites et d’espaces de coworking ou de fablabs du concours « Réinventer Paris », on comprend que la création de nouveaux espaces de travail est devenue l’obsession généralisée et c’est tant mieux. Mais attention aux coquilles vides et aux concepts aseptisés… Dans mon parcours-découverte, j’ai été parfois impressionnée mais aussi souvent déçue de voir que les espaces réorganisés restaient encore souvent des espaces-fonctions, complètement désincarnés malgré leurs noms joliment marketés (et là, je ne citerai pas de noms). En effet, avoir un espace de créativité, brandé comme tel, ne génère pas la créativité, ce serait trop simple… Idem pour l’innovation et tous ses grands principes (Disruption et compagnie) qui, même s’ils se décrètent, ne se rationalisent pas aussi facilement qu’ils ne surgissent, au gré de l’inspiration de leurs auteurs. Pendant ce temps, dans les hackerspaces, on mixe travail conceptuel et manuel, bidouille, expérimentation… comme dans un garage ou un atelier ; Des endroits où se regroupent des gens qui s’approprient des technologies, nouvelles ou pas, échangent entre eux et voient ce qu’ils pourraient faire ensemble. Ce sont des lieux qui restent libres et que tout le monde peut s’approprier.

L’espace seul ne suffit donc pas à faire un lieu. Pour qu’un lieu vive, il faut de l’animation, des services, des « expériences », donc des temps particuliers qui seront investis dans des activités non standardisées. Or ce sont ceux-là, les nouveaux usages, pas le dernier système d’exploitation Windows 454E! Sonia Lavadhino, BFluid) parle d’entreprise élastique : une entreprise où on sait saisir l’instant qui nous nourrit et en faire quelque chose. L’ interdépendance entre collaborateurs permettrait ainsi de créer une nouvelle économie, d’abord relationnelle, puis expérientielle. Pour cela il serait louable de savoir mettre des mots de la sphère intime dans l’espace du travail, importer de l’intimité, au lieu d’en avoir si peur. On notera au passage que le naming des salles de réunion comme des espaces récréatifs est souvent très pauvre en entreprise (noms de peintres, de scientifiques, de couleurs…).

Le temps passé/ vécu est un critère encore sous estimé dans les métiers de l’aménagement. Les parcours, cheminements, les temps morts, l’attente, le repos, la latence ne font pas encore partie de la culture de l’efficacité. Et encore une fois, une salle de sieste n’est pas forcément garante d’un vrai repos. Que dire aussi de la coexistence entre temps de travail « denses » et « décousus », entre temps courts et temps longs? Comment faire co exister dans un même lieu (ou écosystème) ceux qui ont trop de travail avec ceux qui n’en ont pas assez? Ici je milite pour nos métiers de sciences humaines, pour l’anthropologie des usages de demain, encore trop peu sollicitée dans la conception de ces tiers-lieux du futur.

L’espace n’est donc qu’une ressource parmi d’autres pour le travail de demain, ni plus, ni moins. Pour Philippe Morel, Président de Nextdoor, le bâtiment doit s’effacer, il doit s’aligner sur le serviciel. Sa mission: « donner la patate à ses hôtes et résidents pour qu’ils passent une bonne journée et puissent bien bosser ». Ses mots-clé: bienveillance et empathie. Or la bienveillance en entreprise est une démarche qui prend plus de temps à installer qu’un espace collaboratif…

3) Ce que les jeunes générations nous apprennent sur le travail de demain.

Beaucoup d’idées reçues circulent sans cesse à propos des moins de 30 ans. Quand j’ai commencé à travailler dans les études, dans les années 90, c’était déjà le cas. Pourtant, la seule chose qui ait vraiment changé est l’hyper fragmentation des opinions et des modes de consommation. Des millions d’individus différents peuvent aujourd’hui communiquer et travailler ensemble sans nécessairement se ressembler, habiter le même pays ou avoir fait les mêmes études. La segmentation traditionnelle des marchés et des comportements ne peut plus s’appliquer car nous vivons dans un monde liquide qu’il est impossible de photographier à un instant T. Même les photos prises sur un Iphone vibrent encore sur l’écran après leur prise. Alors, pour les jeunes, encore plus que pour les autres, le travail est un flux dans lequel il va falloir se mouvoir le mieux possible: avec une technologie invisible et immanente, où les appareils seront escamotables, à disposition, mais où les talents aussi, sont interchangeables et requis à la demande.

Dans notre étude pour JLL « Quand le travail devient Lifestyle – Les générations Y et Z réinventent l’entreprise », nous avions insisté sur le fait que le travail devait se muer en un « happening » permanent pour eux, grâce à la possibilité de rencontres impromptues, propices à l’inspiration et à la production, mais aussi à la célébration des petits ou grands succès (pop up desks, pitch theaters, connectors, etc). La diffusion des nouveaux modes de travail et de gouvernance (scrum, holacratie) y sont pour beaucoup et risquent fort d’impacter toutes les générations : en essayant de faire disparaître les séparations hiérarchiques, organisationnelles et spatiales, on touche bien à une révolution du management au sens large.

Alors, tous des artistes? Selon Oussama Ammar, leader charismatique de l’incubateur The Family venu s’exprimer au SIMI, la transformation sociologique la plus profonde que nous vivons vient du fait que l’éducation est devenue une commodité et que l’apprentissage n’est plus la seule affaire des jeunes, mais de tous. « Tout le monde fait du sport dans nos sociétés car c’est devenu une nécessité, en très peu d’années. Ce sera la même chose pour l’apprentissage, chacun devra pratiquer, au risque de ne plus avoir de métier du tout ». Il pense également que la majorité des économies occidentales et des grandes entreprises ont fait l’erreur de considérer que la transformation numérique pouvait être gérée par des « plombiers » de l’informatique (par exemple les 600 ingénieurs de Voyages SNCF) alors que l’expérience numérique devrait toujours être pensée comme une expérience artistique, un artisanat du détail, avec peu d’artistes mais très engagés dans leur projet et leur vision.

En conclusion, il reste à espérer que la mixité des usages prônée à l’échelle des bâtiments et des bureaux devienne aussi possible au niveau des générations car le vrai défi du travail de demain sera la capacité du « travailler ensemble » en tenant compte de l’hyper fragmentation des besoins, des outils et des services disponibles.

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